L’objectif d’une acquisition précoce ou d’une éducation est un objectif assez ambitieux qui nécessite un environnement porteur.
Faisons un rapide survol des conditions d’environnement nécessaires et souhaitables dans et hors de l’école.
Pourquoi nécessaires, pourquoi souhaitables ? Parce que la langue n’est pas une matière comme les autres : elle sollicite la totalité de l’enfant, dans son affectivité, dans sa psychomotricité, dans son intellect. Une langue n’est pas seulement à apprendre, elle est à vivre ! Elle est exigeante et elle est globale. Il faut réunir les conditions les plus favorables possibles, ce qu’on ne fait jamais assez !
Commençons hors de l’école et par la famille. Il y a une condition essentielle – affective – que seule la famille peut remplir : communiquer un désir de langue à l’enfant. Comment ? Pas forcément en évoquant la question constamment, mais surtout en valorisant cette langue et ceux qui la parlent, en allant parfois à contre-courant du mépris ou de la honte, y compris des locuteurs eux-mêmes, pas toujours conscients de leur richesse. Bref, l’enfant doit savoir le désir des parents pour le partager, pour l’assumer. Ce désir n’est pas toujours relayé par une pratique, mais cela n’est pas décisif puisque l’école est là. Ce qui est décisif en revanche, c’est une harmonie parfaite dans le couple parental sur le choix de l’éducation bilingue. Surtout en couples mixtes.
Venons-en à l’école. N’insistons pas sur ce qui est évident : un horaire conséquent en langue, en commençant de préférence par une immersion totale initiale, juste le temps nécessaire pour que la L2 (Langue 2) bénéficie d’un bain linguistique qui compense son absence dans la vie quotidienne de l’élève et rattrape le niveau de la L1 (Langue première ou maternelle).
Mais ce qui compte, c’est ce qu’on va mettre dans cet horaire et qui doit répondre aux trois fonctions fondamentales d’une langue : apprendre en langue autre chose que la langue, produire en langue, et échanger en langue.
Apprendre en langue : c’est exactement ce que l’on fait en L1 ou LM ; c’est, en sections maternelles, une L2 utilisée dans toutes les activités qui correspondent aux besoins des petits, comme en français ; au primaire et au collège, c’est la présence de la L2 dans toutes les disciplines, comme en français ! Cette utilisation de la langue tous azimuts, c’est la seule façon pour l’enfant de percevoir que la langues est utile intellectuellement.
Mais cela ne saurait suffire, car ici on est trop souvent victime d’une illusion d’optique qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes : la chose comprise n’est pas – et de loin – une chose apprise. C’est au mieux le tiers du parcours. Pour qu’une chose soit apprise, il faut qu’elle soit devenue disponible. En langue, seul est appris, assimilé, ce qui a fait l’objet de productions diverses : de l’oral, de l’écrit, un jeu, un sketch, un spectacle, une exposition, une enquête, un reportage, un journal, un enregistrement audio ou vidéo, selon l’âge et le niveau de la classe. Il ne suffit pas que l’utilité intellectuelle soit perçue, il faut qu’elle soit mise en œuvre quotidiennement dans la pédagogie : ça prend plus de temps, mais ça sème plus en profondeur, car l’élève aura combiné ses acquis dans un travail personnalisé, créatif et en partie autonome, ce qui ne veut pas dire de façon isolée.
Ayant appris et produit en langue, il ne manque plus qu’une dimension : échanger les productions d’élèves avec un partenaire, une classe-partenaire de même niveau et apprenant la même L2. Une classe allemande, à distance, avec laquelle on aura un projet d’échange de produits d’élèves sur un projet négocié entre les deux classes et selon un calendrier impératif. C’est alors l’utilité sociale de la langue qui est perçue et mise en œuvre à travers l’école.
Apprendre autre chose, produire et échanger : ne sont-ce pas là les trois fonctions des nouvelles technologies ? On s’informe et on apprend par l’Internet, on produit avec le traitement de texte et le traitement d’image, on échange par le mail. Si les écoles bilingues ne se donnaient pas les moyens de combiner langue régionale et technologies, elles tourneraient le dos aux véritables fonctions de toute langue, mais aussi aux technologies et donc à l’excellence pédagogique qui est et doit rester leur meilleur argument de vente.
(…)
Je ne peux pas clore ce tour d’horizon sur l’environnement souhaitable pour l’acquisition d’une langue régionale sans mentionner le besoin de s’appuyer sur des éléments extérieurs à l’école : culturels, médiatiques et de loisirs. On ne les passera pas tous en revue : tout est possible. *
En conclusion, je voudrais dire que, grâce à son éducation bilingue précoce, votre enfant aura touché du doigt tout petit l’unité des concepts et des objets derrière des mots différents, l’unité des savoirs derrière des mises en mots et des grammaticalisations différentes, l’universalité des interactions humaines fondamentales et des structures logiques fondamentales derrière des rituels culturels parfois très différents. Il saisit très jeune l’unicité de l’espèce humaine dans toute sa diversité. J’aime à répéter que l’éducation bilingue précoce est la première université de nos enfants et sa première faculté de philosophie appliquée.
Source : Agde, le 20. 05. 2004 par le Professeur Gilbert DALGALIAN, linguiste
* La vocation de Kinderlaterne est de proposer des activités en allemand et en alsacien afin de permettre aux enfants de multiplier les occasions de s’exposer à un environnement germanophone. Nous invitons tout particulièrement les familles à participer aux sorties et aux spectacles, afin que le bilinguisme des enfants devienne une opportunité d’ouverture et de découverte pour tous.